Les Rencontres FOLIVRES 2010

 

Invité d'honneur : Hubert Montagner

Docteur es sciences, Professeur des Universités à la retraite, Auteur et ancien Directeur de recherches à l'Inserm.

Mot de Monsieur Hubert Montagner

Il est urgent que l‘opinion publique prenne conscience que les enfants et les adolescents peinent à trouver leur place dans l’ambiance dégradée, le mal-être, l’insécurité affective et les stress aggravés d’une société française à la recherche de son âme. Leurs équilibres psychologiques sont de plus en plus souvent altérés et leurs difficultés à l’école sont croissantes. Parallèlement, on n’observe pas de diminution dans la fréquence des consultations médicales pour « troubles du sommeil »,« troubles du comportement”, anxiété (notamment l’anxiété de performance) et angoisses. C’est en même temps la consommation de somnifères, sédatifs, « calmants » (ritaline) , psychotropes … qui reste élevée (rappelons qu’en Europe, les Français sont dans leur globalité les plus gros consommateurs de ces «produits »). Il en est de même pour la consommation de l’alcool et de la drogue, mais aussi pour les suicides. Enfin, la fréquence des violences à l’école et la fréquence des échecs scolaires inquiètent tout le monde.
Deux exemples illustrent les souffrances morales et psychologiques des enfants et des adolescents de la FRANCE :
** dans son numéro du 23 septembre 2008, je journal Libération publiait les résultats d’un sondage réalisé auprès de 700 jeunes : 42% disaient avoir « mal au ventre » au moment de partir à l’école et 26% ne comprenaient pas ce qu’on leur demandait de faire. Autrement dit, c’est la peur au ventre que 42% des enfants vont à l’école, et ce sont 26% qui ne peuvent pas ou ne veulent pas comprendre les informations qu’on leur transmet. Comment pourraient-il entrer dans les apprentissages scolaires, réussir leur scolarité, se préparer à un avenir souriant et riche de promesses ?
** dans son numéro du 24 février 2010, le même journal rapportait les résultats d’une expertise collective de l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) sur les adolescents âgés de 15 à 19 ans. Même si l’étude est parcellaire, elle révèle que 240 000 seraient atteints de troubles anxieux. Un enfant sur huit souffrirait de troubles mentaux. Comment ces adolescents pourraient-ils être maîtres de leur destin ?
Fort heureusement, il n’y a pas de fatalité. Rien n’est figé ni irréversible. Tout peut changer positivement à condition d’agir sur les « bons leviers » qui permettent aux enfants et adolescents de s‘installer dans la sécurité affective, c’est-à-dire développer le sentiment de ne pas être abandonné, délaissé, ignoré, maltraité ou en danger au sein de la famille, dans les structures d’accueil et d’éducation, en particulier à l’école, dans la cité et dans les autres lieux de vie. Il faut notamment refonder l’école en considérant qu’il y a un enfant derrière chaque élève, et pas seulement un écolier, en développant des stratégies et innovations qui permettent aux équipes pédagogiques de prendre réellement en
compte les particularités et difficultés de chacun, et en créant des vraies relations de confiance entre les différents acteurs (enfants, enseignants, parents, décideurs politiques …). Il faut mettre en œuvre les conditions d’accueil, les systèmes relationnels, les organisations du temps, les aménagements d’espace et les modes de fonctionnement qui peuvent permettre aux différents enfants et adolescents de prendre confiance en eux et dans les autres, et de développer l’estime de soi. Tout en libérant leurs émotions, leur affectivité, leur langage oral et les compétences « cachées » qu’ils ont en eux. Ils peuvent alors acquérir de nouvelles compétences, de nouveaux savoirs et de nouvelles
connaissances. Ils sont alors sur la voie de la réussite.
Cela est possible car on sait de mieux en mieux ce qu’il convient de faire et ce qu’il ne faut pas faire.
Les mesures déshumanisées et déshumanisantes qui ont été imposées depuis deux ans par le Ministère de l’Education Nationale, et donc par le Président de la République et le gouvernement, ont des effets désastreux chez les enfants-élèves, surtout ceux qui vivent dans l’insécurité affective. Il est urgent que les parents et les familles prennent conscience que leurs enfants sont épuisés, stressés, inquiets, anxieux, angoissés, démotivés, en désamour pour l’école à cause de la succession des journées scolaires les plus longues du monde. Mais aussi, à cause de l’augmentation de la quantité de temps passé dans les apprentissages fondamentaux, c’est-à-dire ceux qui exigent une grande
concentration intellectuelle (au cours préparatoire : deux heures trente de français et une heure quinze de calcul et de mathématiques). Trop, c’est trop ! Aucun enfant ne peut bien comprendre et apprendre quand il est épuisé et saturé intellectuellement, même s’il est le meilleur élève de sa classe. Il faut ajouter que la durée de la journée scolaire est encore augmentée par l’aide personnalisée que l’on impose tous les
jours aux élèves en difficulté ou en échec (30 minutes), placée aux plus mauvais moments alors qu’ils sont très fatigués, stressés et démotivés. Le temps supplémentaire des devoirs à la maison aggrave leur situation.
Les Français vont-ils continuer à fermer les yeux sur un système qui maltraite leurs enfants et qui détruit toute envie d’apprendre ? En outre, les enseignants sont eux-mêmes plus fatigués, stressés et démotivés. Ils vivent mal les difficultés de leurs élèves à comprendre et apprendre.
Beaucoup ont le sentiment de ne plus être capables d’apprendre à parler, lire, écrire, calculer, résoudre les problèmes ... auprès des enfants en difficulté, et d’avoir ainsi perdu leurs compétences, pourtant réelles. C’est aussi l’avenir de la nation qui est en jeu. Peut-on en effet bâtir une société avec des personnes fatiguées et fatigables, stressées, démotivées, anxieuses, enfermées dans des angoisses qui les dépassent ?